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Pléthore de diplômés, carence d’intellectuels : le malheur de l’Afrique

Des millions de diplômés sortent de nos universités et grandes écoles en Afrique chaque année. Bon nombre d’entre eux intègrent le monde professionnel dans diverses sphères de compétences, mais force est de constater que leur impact dans l’essor de l’Afrique, notamment francophone subsaharienne, peine encore à être une réalité palpable. En effet, l’Afrique ne se porte pas mieux qu’il y a 60 ans, appréciation faite au-delà des chiffres officiels, mais au seul critère d’appréciation qui met l’humain au centre de toute idéologie, à savoir le bien-être par le pouvoir d’achat et l’accessibilité aux éléments vitaux dans une société. Que signifie être diplômé aujourd’hui dans cette partie du continent et quelle contribution réelle dans la marche vers le progrès de nos nations? Qu’est-ce qu’être intellectuel et qui est digne de cet attribut sans qu’il ne s’agisse d’une imposture ? Où sont les intellectuels en Afrique, lorsque cette notion est allègrement galvaudée au point d’être abusivement amalgamée à une détention de parchemin ?

Une notion galvaudée

A la fin du 19e siècle, Emile Zola et ses condisciples, dans une témérité étonnante, face à un régime intransigeant et dans un contexte politique et social tendu, vont nager à contrecourants dans « l’affaire Dreyfus » en dénonçant un complot ourdi contre un capitaine innocent, sacrifié à l’autel de la réputation des dirigeants de la 3e république française. La célèbre lettre ouverte de l’écrivain au Président Félix Faure pour exposer la supercherie d’Etat fera date. Publiée dans les colonnes du journal l’ »Aurore » du 13 janvier 1898 et intitulée « J’accuse », elle allait être le déclencheur d’une nouvelle « race » de citoyens. Ces téméraires, envers et contre tous, au prix de leurs carrières, de leur liberté et même de leurs vies, vont tout donner pour faire prévaloir la justice en désignant les véritables coupables de l’espionnage que les plus hautes autorités ont choisi d’imputer à une victime désignée pour expier les péchés des privilégiés. Face à cette obsession de justice dans une affaire qui ne les concernait pas, les détracteurs de ces militants d’un nouveau genre allaient alors les qualifier de façon péjorative, d’ »intellectuels ». Et le vocable pour désigner ceux qui prennent des risques pour ce qui ne les regarde pas était né d’un point de vue sociétal. Parmi cette nouvelle catégorie de citoyens, on retrouvait aussi bien des écrivains, des avocats, des scientifiques que des paysans et des ouvriers. La notion d’intellectuel, à ses origines, ne renvoie donc nullement à celle de diplômé. Depuis, le terme a traversé les décennies et a perdu de son essence. Aujourd’hui, il suffit d’être passé par une université ou une grande école et d’en sortir avec des diplômes pour être qualifié d’intellectuel. Un dangereux amalgame collectif pour le continent, source de toutes sortes d’impostures.

Paraître à tout prix

En Afrique noire francophone, avoir des diplômes est une fin en soi, un accomplissement, un sésame pour enfin être quelqu’un dans la société. Mieux, le titre que confèrent certains diplômes est une arme fatale pour convaincre, dissuader, séduire et embrouiller. L’obsession du « Dr » ou du « Pr » à ne surtout jamais oublier de mentionner devant chaque patronyme qui le réclame a conduit à toutes sortes de manœuvres. On est en droit de s’étonner de voir
accolés ces titres du jour au lendemain à des personnes qui ne sauraient justifier de l’accomplissement des étapes qu’ils supposent. Ca fait joli, ça fait intello. C’est un phénomène de mode. « Excellence », « Honorable », « Vénérable », « Majesté », dont l’usage n’est, dans la majorité des cas, ni plus ni moins que de l’imposture de personnes assoiffées de reconnaissances fictives. Les apparences ont pris le pas sur les valeurs fondamentales. Par exemple, le titre de Docteur, dans la déontologie scientifique, n’est accolé systématiquement au patronyme de son détenteur que pour les médecins, tandis que celui d’Excellence relève exclusivement des conventions diplomatiques et dans une certaine mesure, ecclésiastiques, tout comme l’honorabilité de nos représentants du peuple qui est une pure invention locale sans aucun rapport avec la pratique consacrée. En attendant, les titres ronflants et le prestige recherché qu’ils confèrent à ceux qui s’en arrogent ne résolvent pas les problèmes prioritaires de l’Afrique. Le projet de développement de l’Afrique mérite mieux que des élites complexées et égoïstes en quête de reconnaissance personnelle.

Que valent vraiment nos diplômés Afrique ?

Pour répondre à cette question, il faut partir du système éducatif en Afrique dans ses contenus, dans le processus d’acquisition des diplômes et ensuite dans l’analyse de l’apport au développement de l’Afrique avec tous ses diplômés sortis des universités et grandes écoles depuis les « indépendances ».

Il est de bon ton de rappeler que notre système éducatif en Afrique subsaharienne est un héritage, que dis-je, un vestige colonial. En d’autres termes, tout ce que nous acquérons comme connaissances correspond à des programmes conçus pour nous par d’autres, avec des ambitions qui ne correspondaient guère à nos aspirations autonomes initiales. En clair, les « indépendances » n’ont pas été accordées par les colons comme on peut l’entendre à travers de multiples et récurrents mensonges de l’histoire, mais elles ont été arrachées de hautes luttes, au péril des vies de valeureux africains. Après avoir écarté y compris par des assassinats les véritables indépendantistes, les colons ont pris soin d’installer des marionnettes africaines pour assurer la préservation de leurs intérêts. Partant de cette réalité, l’intention évidente de continuer à contrôler l’Afrique dans la forme néocoloniale actuelle pour permettre à l’Occident de continuer à piller nos ressources ne peut qu’amener à appréhender la nature et les objectifs des contenus scolaires et universitaires, et donc, le formatage des cerveaux de ceux qui sortent des cursus académiques conséquents. L’objectif premier était le dénigrement de nos valeurs au profit de la fascination de l’Occident, ce qui a plutôt bien marché. Enfin, la dissuasion de toute remise en question, d’où la part belle aux études favorisant l’emploi salarié. Les africains ont ainsi été conditionnés pour obéir aux ordres et non pour créer des richesses par la force de leur génie, garantissant ainsi sur des générations, la prévalence de l’esprit fonctionnaire sur celui d’entrepreneur.

Les contenus de nos formations, y compris dans les écoles qui mettent en avant le label »professionnel », ne préparent en rien les élèves et étudiants à être autre chose que des salariés dociles des systèmes en place. L’esprit d’entrepreneuriat est ainsi sacrifié. L’absence d’incitation structurelle à l’auto-emploi et à l’investissement autonome est un frein à l’émergence d’esprits libres prêts à se donner pour des causes nobles, car l’employé en général cherche à assurer le minimum, son confort et celui de sa famille. Il sera donc souvent loin des causes militantes sur des sujets qui ne le concernent pas, puisque focalisé sur ses préoccupations de survie. De plus, les diplômes ne reflètent que très rarement le niveau académique de leurs détenteurs. Regardez les demandes d’emplois ou de stages des titulaires de licences, masters ou doctorats. La piètre qualité des dossiers, de la rédaction de la correspondance à la constitution globale, laisse songeur sur les véritables compétences des postulants. Acceptez-les en stages, professionnels, académiques ou pré-emplois, et votre désarroi sera encore plus grand, tant ce qu’ils sont supposés détenir comme connaissances au vu de leurs références académiques s’avérera vite être un leurre. Pour cause, beaucoup de légèreté dans les contenus de programmes, énormément de laxisme dans le suivi par les établissements au courant de l’année académique, obsession des étudiants pour l’obtention de notes plutôt que pour la connaissance, capitalisme à outrance de la part des promoteurs d’établissements obsédés par l’appât du gain au détriment de la qualité des enseignements, marchandage des notes par les enseignants, étudiants de plus en plus partisans du moindre effort, monnayage des places dans les établissements entre parents et chefs d’établissements, achat de diplômes etc. Tout le monde est trempé, et la valeur du diplôme de plus en plus douteuse. Une autre tare de nos systèmes éducatifs héritée directement de la France est ce culte voué au diplôme plutôt qu’aux connaissances empiriques, comme cette pratique spécieuse de passer un concours pour acquérir un titre d’agrégation, quand les anglo-saxons valorisent le niveau suprême de la recherche à travers la quantité et la qualité des publications scientifiques pour accéder au grade de Professeur. Ce vestige académique de la colonisation ouvre ainsi droit à toutes sortes d’éventualités pour l’obtention de grades. Comment s’étonner que nos détenteurs de titres pompeux, une fois dans le monde professionnel, politique, économique, financier, juridique et autres, se livrent à toutes sortes de gabegies dans leurs seuls intérêts égoïstes au détriment des populations? Il n’y a rien de bon à attendre de ceux qui ont été façonnés par un système corrompu, ont reçu des connaissances biaisées et mal assimilées, ont usurpé leurs titres et y sont parvenus par des moyens illicites. Au vu de l’origine de leurs statuts, ils ont le profil parfait du nègre de maison, prêt à sacrifier son peuple pour ses ambitions de carrière. L’actualité africaine, tout comme notre entourage de tous les jours, nous exposent ces intellectuels de pacotille en permanence. Ils constituent le véritable malheur de l’Afrique. Ils n’ont aucune limite pour assouvir leur soif de pouvoir. Sans scrupules, ils sont prêts à brader les ressources de tout un pays aux prédateurs extérieurs auxquels ils se réfèrent pour assouvir leurs basses besognes, y compris pour éliminer physiquement leurs adversaires, leurs propres frères africains. Voilà la triste réalité de l’Afrique francophone et ses millions de diplômés. Fort heureusement, issus d’un même arbre, les fruits pourris, même majoritaires, n’affectent pas nécessairement les fruits sains. Ici, c’est la forêt qui cache l’arbre.

Différences fondamentales

En somme, le diplômé a une connaissance livresque que suggère son titre, ce qui ne le prédestine pas, à priori, à dépasser le cadre de ce qui lui a été enseigné. Le diplômé classique ne fait que répéter machinalement ce qu’on lui a appris. Il ne pense pas par lui-même, mais par le biais de ce que lui imposent ses acquis cognitifs. Il est docile et ne cherche surtout pas d’embrouille. Il ne se mêle pas de ce qui ne le concerne pas, et son confort personnel à lui et
sa famille sont son seul leitmotiv. Il évite surtout de contrarier ceux qu’il pense détenir les clés de son bien-être. Le diplômé est une belle limousine de luxe qu’on astique chaque matin dans son garage, mais qui n’a ni roues ni moteur et donc ne peut aller nulle-part et ne sert à rien ni à personne si ce n’est à la satisfaction de l’égo de son propriétaire et à son entourage immédiat qui prennent plaisir à la contempler. Un simple diplômé est formaté pour se soumettre à l’ordre établi et le préserver sans aucune prise de risque ni remise en question. C’est un exécutant servile du système en place.

L’intellectuel, c’est un véhicule tout-terrain 4×4 qui ne s’encombre pas de toutes les options d’une voiture de luxe, mais qui roule à merveille. Son moteur surpuissant ronfle en permanence et ses quatre roues sont prêtes à s’aventurer dans les contrées les plus lointaines et les plus hostiles, partout où son intervention est nécessaire. L’Afrique a urgemment besoin de plus de véhicules comme celui-là. L’intellectuel, comme disait JeanPaul Sartre, se mêle de ce qui ne le regarde pas. Il ne se rend pas complice, par son silence, des injustices. Il saigne avec les blessés, il pleure avec les opprimés, il sort de son confort au péril de sa vie pour rétablir la justice partout où elle est compromise. Qu’il s’agisse de Toussaint Louverture, Marcus Garvey, W.E.B Dubois, Cheikh Anta Diop, Patrice Lumumba, Osende Afana, Um Nyobe, Thomas Sankara, Malcolm X, Martin Luther King, Rosa Park, Winnie Mandela, Sékou Touré, Tchundjang Pouemi et d’autres dans la même trempe, l’Afrique et ses afro descendants ont connu des intellectuels de haut vol et en redemandent, tant les enjeux sont importants. Ils avaient une vision et étaient prêts à renoncer à toutes sortes de privilèges, pour l’intérêt suprême de leurs peuples. Ils ont fait la prison, ils ont été les cibles de toutes les attaques, ils ont été tués, mais les fruits de leurs combats sont éternels.

Lueurs d’espoir

L’Afrique n’a plus besoin de clowns qui pérorent à longueur de médias, arborant de prétentieux titres qui n’ont aucun intérêt pour l’avancée du continent. A la limite, ils sont utiles pour eux-mêmes et pour leurs familles. Ce qui n’est déjà pas mal. Mais de grâce, mettons fin à cette imposture généralisée qui veut faire croire qu’un parchemin donne accès au cercle encore très restreints des intellectuels, quand on connaît les conditions qui ont permis cette consécration dans bon nombre de cas. C’est connu, les diplômes ne reflètent pas toujours ce qu’ils prétendent valider comme bagage académique, et le bagage académique, même obtenu de façon honnête et légitime ne suffit pas à faire face aux problématiques majeures de nos sociétés. Evidemment, il ne s’agit pas ici d’une cabale contre les diplômes et leurs détenteurs, mais d’un recadrage, tant l’amalgame est préjudiciable à l’évolution de notre continent. Toute imposture est à combattre. Si être diplômé ne confère pas automatiquement le statut d’intellectuel, on peut évidemment être diplômé et intellectuel. L’intellectuel a pour principal compagnon le sacrifice. Il est impératif de prendre conscience de cette réalité et de ses conséquences par tous les africains, et surtout, et c’est l’objectif ultime, susciter davantage d’intellectuels en Afrique car le continent en a urgemment besoin pour tracer et suivre sa propre voix, loin des schémas imposés pour continuer d’avilir et d’assaillir. Tout africain digne doit se résoudre à être un intellectuel en prenant fait et cause pour son continent. La tranquillité et le confort de l’inaction sont illusoires, car ce qui semble ne pas nous concerner nous concernera tôt ou tard, notre génération ou celle de nos enfants. Donc, ne pas agir, ne pas se mêler de ce qui ne nous regarde pas, c’est compromettre notre avenir. Nous avons tout le potentiel qu’il faut. Consciencieux et mobilisés, nous y parviendrons.

 

Par Paul ELLA

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