L’idée de sorcellerie en Afrique: un autre fardeau colonial
Le saviez-vous? La sorcellerie que nous, africains, considérons comme notre « spécialité » est
une construction mentale que nous avons hérité de l’esclavage et de la colonisation. Vous
écarquillez les yeux d’étonnement? Ce n’est guère étonnant. Les idées reçues, validées et
transmises de génération en génération, finissent par s’imposer à nous comme des vérités
indémontables, même lorsqu’il s’agit des pires utopies comme c’est le cas de la sorcellerie.
Maintenant que l’effet d’étonnement vous a ouvert bien grands les yeux, je vous suggère
d’ouvrir plus grand encore vos oreilles, mais surtout vos esprits. Car en effet, la particularité
des croyances est qu’elles sont souvent séculaires et quasi-héréditaires, ce qui crée un
ancrage psychique pratiquement indéboulonnable. Non, la sorcellerie n’est rien de ce que
vous croyez jusqu’ici, et elle n’est point responsable de ce qu’on veut bien lui attribuer. Ni
vos échecs scolaires, ni la maladie ou le décès d’un proche, ni vos déboires sentimentaux, ni
la destruction de votre foyer, ni vos difficultés en affaires ne sont à imputer à aucun sorcier.
Suivez-moi dans cette démarche de démystification.
Aux origines
La sorcellerie est un concept qui trouve sa source en Europe au 15e siècle avec l’apparition
des bulles papales, notamment le « Summis desiderantes affectibus » du pape Innocent VIII, le
« Malleus maleficarum ». A cette époque, l’église fait face à des menaces diverses à la stabilité
de son pouvoir séculaire dominant et applique des mesures violentes contre toutes sources
réelles ou supposées de contre-pouvoir. Les pays européens sont affaiblis au sortir de la
guerre des cent ans, les difficultés économiques se précisent, le vent de la réforme souffle
etc. C’est ainsi que les « opposants » aux dogmes de l’église, les hérétiques, vont être la cible
des inquisitions qui feront des dizaines de milliers de morts sur ordre des différents papes
entre le 15e et le 17e siècle. Dans la même mouvance, les femmes sont la cible de chasses
aux sorcières, car accusées d’être à l’origine de tous les maux de la société: famine,
catastrophes, stérilité du mari etc. Mais ce ne sont que de fallacieux prétextes dans une
société à peine sortie du moyen-âge et fortement patriarcale qui tient à écarter les femmes
aux velléités d’émergence au sein d’une Europe en pleine renaissance. A cette époque de
toute puissance de l’église dans toutes les sphères de la société, l’accusation de détention de
pouvoirs maléfiques constituait l’alibi idéal. C’est ainsi que sur la période sus-évoquée, les
femmes ont fait l’objet de plus de 110.000 procès en sorcellerie dont environ 50% ont été
conclus par des condamnations à mort, y compris au bûcher, sans compter les victimes des
lynchages et autres actes de règlements populaires. L’officialisation de la notion de
sorcellerie était née.
Le transfert en Afrique
Dès le 15e siècle, à la faveur de la traite négrière, de l’esclavage et de la colonisation, les
esclavagistes et les colons dont l’une des armes redoutables est l’évangile pour assurer la
domination spirituelle et culturelle des peuples assaillis, vont démarrer le long processus
d’asservissement des africains qui durera 4 longs siècles. C’est ainsi que les peuples
esclavagisés puis colonisés se sont vus dépouillés de leurs richesses matérielles mais également de leurs croyances culturelles et spirituelles pour épouser par la contrainte et par
les pires atrocités, celles des oppresseurs. En pleine campagne de chasses aux sorcières
partout en Europe, et à la recherche de ressources extérieures pour relancer leurs
économies en difficultés, l’arrivée des colons en Afrique va entraîner des bouleversements
profonds au sein des sociétés du continent. De nouveaux concepts et valeurs sont alors
introduits tels que la sorcellerie, notion directement importée d’Europe. En effet, à cette
époque, aucun mot dans les langues locales ne correspond à ce vocable étranger. C’est ainsi
que les colons, en même temps qu’ils enseignaient l’évangile et l’idée occidentale de bien,
de mal, de paradis, d’enfer, de diable et de démon, ont introduit celui de sorcellerie,
conformément à leur réalité sociétale à cette époque, en Europe notamment. Tout ce qui
n’était pas conforme à l’enseignement religieux des colons constituait une menace à la
réalisation de leur projet macabre et était qualifié de sorcellerie. Les objets d’art africain
pouvaient ainsi facilement être pillés car les nouveaux prédateurs apprenaient aux africains
qu’il s’agissait de fétiches porteurs de pouvoirs maléfiques dont il fallait urgemment se
débarrasser pour espérer hériter le ciel. Nos prières, nos croyances, nos pratiques
culturelles, sources de notre identité, étaient abandonnées au prétexte que leur dieu était le
seul vrai dieu et que nos coutumes étaient démoniaques, et qu’ils étaient investis d’une
mission divine de délivrance des africains. Les africains se faisaient alors baptiser,
communier et intégraient l’église en abandonnant leurs pratiques désormais considérées
comme diaboliques. De nos jours encore, l’art africain est traité comme tel, de simples
fétiches représentant de mauvais esprits. L’art, ce sont les objets occidentaux. Tout a été
fait, avec un certain succès, pour que nous rejetions nos propres valeurs ancestrales au
profit de la culture occidentale. Nous sommes ainsi devenus nos propres ennemis, voyant le
danger et le diable en nos frères, et la sécurité et le divin en l’oppresseur. La suspicion
prenait ainsi naissance entre africains sur la base des enseignements « divins » reçus et bien
assimilés. Triste héritage encore bien perceptible de nos jours.
Des coupables idéaux
Aussi arbitrairement qu’en Occident, les désignés coupables de sorcellerie étaient
principalement les femmes et les enfants. Des personnes vulnérables en somme. Pour les
femmes, plus elles étaient âgées, mieux ça valait. Pour les enfants, plus ils sont jeunes, plus
ils sont coupables. En clair, les accusations en sorcellerie sont toujours dirigées vers les plus
inoffensifs. Si en plus vous êtes pauvres, alors vous êtes le sorcier ou la sorcière idéal (e).
Pourquoi s’étonner que les principales personnes taxées de sorcières soient des vieilles
femmes, des jeunes enfants, des handicapés, des albinos, des nains etc.? Pourquoi s’étonner
que les sorciers désignés pour la plupart se trouvent dans nos villages où règnent pauvreté
et désœuvrement? Au point que certains superstitieux en chef ont même peur d’y aller avec
leurs enfants ? Du fait de cette subjectivité hallucinante, un boulevard s’ouvre alors à tous
les abus, y compris à des règlements de comptes. Il suffit de l’entente de quelques membres
d’une famille, de la connivence d’un prétendu illuminé qui tranchera sur le caractère
coupable ou non de l’accusé pour qu’on règle le compte de ces victimes faciles par les pires
méthodes: lapidation, tortures, mort par le feu etc. En Occident, entre l’époque du moyenâge et de la renaissance, comme en Afrique, malheureusement encore de nos jours, 90% des
victimes sont des femmes âgées et des enfants, et 100% de ces victimes sont des personnes
vulnérables. Ces statistiques montrent bien que la désignation des coupables en sorcellerie
est complètement fantaisiste. Il ne saurait en être autrement quand il est établi que la
sorcellerie relève de la fertilité d’esprit de personnes vivant dans une culture de la peur.
Aucun témoigne de sorcellerie n’a jamais fait l’objet d’aucune preuve tangible. Et tous ceux
qui se prononcent et rapportent des faits imaginaires tiennent toujours leurs informations
d’une autre personne qu’ils croient aveuglément sans jamais avoir eux-mêmes le moindre
élément vécu. A court d’arguments, les adeptes de cette utopie moyenâgeuse vous disent
qu' »on est quand-même en Afrique », validant ainsi inconsciemment mais servilement une
notion étrangère qui leur a été imposée comme bien d’autres héritages coloniaux
encombrants. Cette infantilisation des esprits qui renoncent à toute rationalité élémentaire
fait les affaires des « délivreurs » professionnels des esprits à coups de prières, d’incantations,
de potions et surtout… à coût de millions. La psychose et l’arbitraire sont ainsi entretenus.
Un fonds de commerce juteux donc. Peuple africain, réveillons-nous!
En conclusion
La sorcellerie est une construction utopique des esprits fébriles qui, par paresse
intellectuelle, attribuent des événements naturels à des forces imaginaires. Ces faibles
d’esprits, en dépit très souvent de leurs situations sociales, connaissances et diplômes,
renoncent délibérément à recourir au bon sens et trouvent des boucs-émissaires à leurs
infortunes pour se dédouaner de leurs responsabilités plutôt que de les assumer. La
sorcellerie est le refuge facile de ce qu’on n’arrive pas à expliquer ou qu’on refuse
d’admettre. Les coupables sont des innocents sur lesquels on se décharge arbitrairement au
prix de leurs vies. C’est de la superstition, une gangrène pour nos sociétés en Afrique et une
forme dangereuse d’aliénation qui maintient les africains dans un état puérile lamentable.
Un vestige colonial dont il faut se débarrasser rapidement. Il y a cinq siècles que cette notion
étrangère nous a été inculquée, il est grand temps de s’en débarrasser et de retrouver le
chemin de la raison.
Par Paul Ella
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