
Les enjeux de la consommation locale pour les africains
Au Cameroun comme en Afrique, on se plaint du sous-développement, de la faiblesse du pouvoir d’achat, de l’absence d’infrastructures, des lenteurs administratives, de la corruption et que sais-je encore ! On se plaint en gros de la faiblesse économique de nos pays qui a pour corollaire la précarité sociale dans laquelle sont plongés les camerounais et les africains en général. Si ces plaintes sont totalement fondées, quid de notre responsabilité en tant qu’individu et en tant que peuple ?
Rappelons que la santé économique d’un pays et le bien-être de ses populations en général sont tributaires de la création de richesses de ce pays, elle-même conséquente à la capacité de production de biens et services conditionnée par la demande. Aussi, pour une économie prospère, la richesse créée sur une période donnée, perçue sous le prisme du P.I.B (Produit Intérieur Brut), n’a d’intérêt que si cette richesse profite aux populations. Pour ce faire, il faudrait que l’essentiel de la production et des valeurs ajoutées proviennent des entreprises à capitaux locaux. Et pour cela, encore faudrait-il que ces entreprises trouvent un marché local, c’est-à-dire que les populations du pays soient les premiers consommateurs des produits créés par nos entreprises. En clair, pour une prospérité économique effective de nos pays africains, il est indispensable le « consommer local » soit non seulement une priorité, mais aussi et surtout une réalité.
Seulement, qu’observons-nous dans les faits? Les camerounais et les populations d’Afrique subsaharienne consomment essentiellement des produits importés comme si cela leur conférait une certaine notoriété. Les africains ne consomment pas local. D’ailleurs, en Afrique, l’un des arguments de vente de certains produits, c’est de préciser qu’ils sont importés. Le prétexte le plus souvent avancé est celui de la qualité. Oui, il paraît que les produits et services, français, anglais, américains ou chinois sont toujours de meilleure qualité que les produits camerounais, béninois ou nigérians. Non seulement cette argument est totalement infondé, mais il transpire le complexe. Le complexe du mythe du produit venu d’ailleurs. Les africains ont souscrit au dénigrement de tout ce qui est produit localement, et prêtent allègrement le flanc à la propagande occidentale pourtant éculée qui laisse penser que le beau, le solide et l’agréable viennent forcément d’outre-mer. Pathétique illusion dont la ténacité suggère une urgente délivrance des vieux démons de la pensée coloniale.
Chers camerounais, chers africains, que consommez-vous ? Où vous habillez-vous ? Quelles chaînes de radio et de télévision suivez-vous et sur quels bouquets ? Que mangez-vous et que buvez-vous ? Dans quels magasins vous-approvisionnez-vous et dans quelle station-service faites-vous le plein de carburant ? Vous sentez-vous plus valorisés quand vous mangez du saumon ou du foie gras accompagné d’un grand cru ou d’un champagne de renommée internationale ? Vous sentez-vous plus évolués socialement parce que vous faites vos courses dans des grandes surfaces aux enseignes commerciales européennes ? Où passez-vous l’essentiel de vos vacances ? Privilégiez-vous la pérennisation du mythe de l’occident en vous saignant financièrement pour des selfies devant la Tour Eiffel à Paris, Big Ben à Londres ou le Capitol à Washington ? Alors qu’à moindres frais vous pourriez passer de plus charmantes et rentables vacances à fouler le sable fin de Kribi, à visiter le musée de Foumban, les chutes de la Lobé, le parc de Waza ou encore le Jardin Botanique de Limbé ? Oui, nos dirigeants ont leur part de responsabilité pour assurer à nos pays des économies prospères, mais nous, populations, nous devons faire notre part : consommons local, consommons camerounais, consommons africains !
Vous qui êtes décideurs dans nos grandes entreprises et nos ministères, combien de temps encore votre complexe d’infériorité vous fera privilégier les prestataires des entreprises françaises, belges, anglaises, américaines et chinoises quand vous avez des entreprises camerounaises et africaines qui peuvent convenablement satisfaire aux exigences contractuelles des différents marchés, avec en prime des coûts inférieurs et une amélioration du tissu économique de votre pays ? Honte aux dirigeants africains qui prétendent travailler au développement économique de leurs pays et au bien-être de leurs populations, quand ils sont les premiers à montrer le mauvais exemple. Combien de nos ministres et directeurs généraux font preuve de patriotisme économique ? Tenez par exemple, combien parmi eux ont dans leurs bureaux ou dans leurs résidences des mobiliers 100% africains quand on sait que l’Afrique regorge de multiples essences de bois avec des ouvrages de qualité de la part de nos valeureux menuisiers ?
Consommer local est un engagement patriotique au-delà des discours savants. En le faisant, nous contribuons à former la masse critique consciente qui pourra inverser la tendance fâcheuse qui veut faire de l’Afrique une éternelle quémandeuse. Consommer local ne nécessite pas d’être un élu ou à encore d’occuper un poste de décision, ni n’expose à aucune sanction. Il n’y a donc aucun obstacle à pratiquer son patriotisme économique pour le salut du continent dont la souveraineté politique ne verra le jour qu’à partir de son indépendance économique.
Changer l’Afrique, cela dépend de chacun d’entre nous et ça commence maintenant. Soit nous décidons de passer à l’action, soit nous nous taisons, car la critique stérile et les vœux pieux n’ont jamais changé un pays ni un continent.
Paul ELLA.
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